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jusqu’au matin, moi j’irai au régiment pour savoir où est ta batterie. Demain je viendrai te chercher.

— Pourquoi ? Allons plutôt ensemble, dit Volodia. J’irai avec toi au bastion. Qu’est-ce que ça fait ? Il faut bien s’habituer. Si tu y vas, je veux y aller aussi.

— Il vaut mieux que tu n’y ailles pas.

— Non, je t’en prie : au moins, je verrai comment…

— Je te conseille de n’y pas aller, mais si tu insistes…

Le ciel était pur et sombre, les étoiles, les feux des bombes qui se mouvaient sans cesse, et celui des décharges, brillaient clairement dans l’obscurité. La grande construction blanche de la batterie et le commencement du pont se détachaient de l’obscurité. À chaque seconde quelques coups de canon et des explosifs se suivant rapidement l’un l’autre, ou ensemble, ébranlaient l’air dans toute sa profondeur. Au travers de ces grondements on entendait, comme un accompagnement, le clapotis lugubre de la baie. Un petit vent soufflait de la mer et l’on sentait l’odeur des vagues. Les frères s’approchaient du pont. Là un milicien frappa gauchement du fusil et cria :

— Qui vive !

— Soldat !

— On ne passe pas.