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le regarde tristement et je crie : « Suivez-moi ! Vengeons-nous ! J’aimais mon frère plus que tout au monde, dirai-je, et je l’ai perdu. Vengeons-le, tuons l’ennemi ou mourons tous ici ! » Tous accourront et se jetteront derrière moi. Ici paraîtra toute l’armée française, Pélissier lui-même. Nous les écraserons tous. Mais à la fin, on me blesse une seconde fois, une troisième, et je tombe blessé à mort. Alors tous accourront vers moi. Gortchakov viendra et me demandera ce que je veux. Je dirai que je ne veux rien, sauf qu’on me mette à côté de mon frère, que je veux mourir avec lui. On m’emmènera, on me placera près du cadavre ensanglanté de mon frère. Je me soulèverai et dirai seulement : « Oui, vous ne pouviez apprécier deux hommes qui aimaient vraiment leur patrie. Maintenant ils sont tombés tous deux, que Dieu vous pardonne ! Et je mourrai. »

Qui sait jusqu’à quel point se réaliseront ces rêves ?

— Quoi, as-tu jamais été dans une mêlée ? — demanda-t-il tout à coup à son frère, en oubliant son projet de ne pas lui parler.

— Non, pas une seule fois, — répondit l’aîné : notre régiment a perdu deux mille hommes et tous aux travaux. Moi aussi, j’ai été blessé pendant le travail. La guerre ne se fait pas du tout comme tu penses, Volodia !

Le mot « Volodia » toucha le frère cadet. Il vou-