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Si tout va bien ici, alors on peut avancer beaucoup plus que dans la garde. Là-bas on est promu colonel après dix ans de service, et ici, Totleben, après deux ans comme lieutenant-colonel a été nommé général. Et si l’on tue, alors, que faire !

— Voilà comme tu es ! — dit le frère en souriant.

— Et le principal, sais-tu, frère — dit le cadet en souriant et en rougissant comme s’il se préparait à dire quelque chose de très raide. — Tout ça, c’est sottise, j’ai surtout demandé ça, parce qu’il est honteux de vivre à Pétersbourg quand ici on meurt pour la patrie. Et je voulais être avec toi, — ajouta-t-il encore plus gêné.

— Comme tu es drôle ! — dit l’aîné en tirant son porte-cigare et sans le regarder. — C’est seulement dommage que nous ne soyons pas ensemble.

— Mais, dis-moi la vérité : est-ce terrible sur le bastion ? — demanda tout à coup le cadet.

— Au commencement, oui ; mais après on s’y habitue. Ce n’est rien. Tu verras toi-même.

— Ah ! dis-moi encore : qu’en penses-tu ? On prendra Sébastopol ? Je pense qu’on ne pourra jamais.

— Dieu le sait.

— Une seule chose est ennuyeuse… Peux-tu t’imaginer un tel malheur. Pendant la route on nous a volé un grand sac et j’y avais mon casque, de sorte que je me trouve maintenant en fâcheuse