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indifférents ; il se rappelait l’étrange vieillard qui flétrissait librement les autorités, et qu’on traitait en fou, et, parmi les cadavres, le beau visage de cire de Kriltsov, mort dans la haine. Et la question ancienne : si c’était lui-même, Nekhludov, qui était fou, ou ceux qui faisaient tout cela en se flattant d’être des créatures raisonnables, se posait à lui avec une nouvelle force et exigeait la réponse.

Las de marcher et de réfléchir, il s’assit sur le divan, devant la lampe et, machinalement, il ouvrit l’évangile que l’Anglais lui avait donné et qu’il avait déposé sur la table en vidant ses poches. « On prétend qu’on trouve là une réponse à tout », songeait-il. Et ouvrant au hasard, il se mit à lire le chapitre xviii de Matthieu.

1. En cette même heure-là les disciples vinrent à Jésus et lui dirent : Qui est le plus grand dans le royaume des cieux ?

2. Et Jésus, ayant fait venir un enfant, le mit au milieu d’eux,

3. Et dit : Je vous le dis en vérité, que si vous ne changez, et si vous ne devenez comme des enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux.

4. C’est pourquoi quiconque s’humiliera soi-même, comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des cieux.

« Oui, oui, c’est bien cela », se dit-il, en se rappelant le calme et la joie de vivre qu’il avait goûtés dans la mesure où il s’était humilié.