Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

près de Nekhludov, et tous les passagers, se découvrirent et firent le signe de la croix. Seul un petit vieillard en guenilles, qui se tenait plus près du bord que les autres, et que Nekhludov n’avait pas aperçu tout d’abord, ne se signa point, et fixa les yeux sur Nekhludov. Ce vieillard était vêtu d’un caftan rapiécé, d’un pantalon de drap et chaussé de souliers éculés ; sur son dos pendait un petit sac, et il était coiffé d’un haut bonnet de fourrure toute rongée.

— Et toi, vieux, pourquoi ne pries-tu pas ? lui demanda le cocher de Nekhludov en remettant son bonnet. Tu n’es donc pas baptisé ?

— Et qui prier ? répartit d’un air résolu et provocant le vieillard loqueteux, en prononçant rapidement les syllabes.

— Dieu, naturellement ! fit le cocher d’un ton ironique.

— Et sais-tu où il est ? Tu le connais, ton Dieu ?

Il y avait quelque chose de si sérieux, de si grave dans l’expression du vieillard, que le cocher, sentant avoir affaire à un homme fort, se troubla légèrement, mais il n’en laissa rien paraître, et ne voulant pas avoir le dessous, devant le public attentif, il répartit vivement :

— Où ? On le sait : au ciel !

— Tu as été au ciel ?

— Que j’y sois allé ou non, tout le monde sait qu’il faut prier Dieu !