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donné les traitements qu’ils subissaient, toutes les lois morales de respect et de compassion envers l’homme, professées par les maîtres ecclésiastiques et les moralistes, sont en réalité abrogées et qu’ils n’ont pas à s’y soumettre. Nekhludov avait observé cela chez tous les prisonniers qu’il connaissait : chez Fedorov, chez Makar et même chez Tarass qui, après deux mois de la vie des étapes, avait stupéfait Nekhludov par l’immoralité de ses raisonnements. En route Nekhludov apprit également que les prisonniers qui s’enfuient dans les marécages entraînent avec eux des compagnons qu’ils tuent et se nourrissent de leur chair. Il avait vu de ses yeux un homme accusé de cette monstruosité et l’avouer. Et le plus terrible, c’est que ce cas d’anthropophagie n’était pas isolé mais se répétait constamment.

Seule une culture particulière du vice, comme elle se pratique par ces institutions, avait pu amener un Russe à l’état auquel était arrivé le vagabond, précurseur de toute la nouvelle doctrine de Nietszche, qui considérait que tout est possible, que rien n’est interdit, et qui répandait cette doctrine d’abord parmi les prisonniers, et ensuite dans le peuple.

L’unique explication de tout ce qui se faisait pouvait être le désir d’enrayer les crimes, d’effrayer, de corriger, et de venger légalement, ainsi qu’on l’écrit dans les livres. Mais en réalité, rien