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Le fait que de l’autre côté du mur arrivaient les bruits des pas, les cris, les jurons des condamnés de droit commun, leur rappelait ce qui se passait autour d’eux et augmentait encore davantage la sensation de l’intimité. Comme pendant un arrêt en pleine mer, ces hommes se sentaient, pour un instant, à l’abri des vagues d’humiliations et de souffrances qui les entouraient, et, par suite, se trouvaient dans un état d’exaltation qui élevait leur esprit. Ils parlaient de tout, sauf de leur situation et de ce qui les attendait. En outre, comme cela arrive toujours entre de jeunes hommes et de jeunes femmes, surtout quand ils sont forcés de vivre ensemble, comme c’était leur cas, entre eux naissaient et se développaient des liaisons sentimentales. Tous, ou presque tous, étaient amoureux. Novodvorov était amoureux de la jolie et souriante Grabetz. C’était une jeune étudiante, fort peu réfléchie, et parfaitement indifférente aux questions révolutionnaires. Mais elle avait suivi l’influence de son temps, s’était compromise dans une affaire quelconque, et avait été condamnée à la déportation. Et de même qu’en liberté le principal intérêt de sa vie était de plaire aux hommes, de même elle avait continué pendant les interrogatoires, en prison, et en déportation. À présent elle était heureuse parce que Novodvorov était amoureux d’elle et qu’elle-même était amoureuse de lui. Vera Efrémovna,