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compagnons savaient cela et, bien qu’attirés vers elle, ils cachaient leurs sentiments et la traitaient en camarade, en homme. Mais les autres hommes, les inconnus, l’assiégeaient souvent, mais, comme elle le disait elle-même, elle s’en débarrassait grâce à sa grande force physique dont elle était particulièrement fière.

« Une fois, racontait-elle en riant à Katucha, un homme me poursuivait dans la rue, ne se décidant pas à lâcher pied ; alors je le secouai si rudement qu’il prit peur et s’enfuit. »

Elle racontait qu’elle était devenue révolutionnaire parce que, tout enfant encore, elle avait éprouvé du dégoût pour la vie mondaine, tandis qu’elle avait toujours aimé les gens du peuple ; et maintes fois elle avait été grondée pour ses fréquentes visites à l’office, à la cuisine, à l’écurie, qu’elle préférait au salon.

— C’est avec les cuisinières et les cochers que je me sentais à l’aise, disait-elle, tandis que je m’ennuyais horriblement avec les messieurs et les dames. Et plus tard, quand la raison me vint, je m’aperçus que notre vie était très mauvaise. Je n’avais plus de mère ; je n’aimais pas mon père, et à dix-neuf ans je quittai la maison avec une amie et m’engageai comme ouvrière dans une fabrique.

Après la fabrique, elle avait vécu parmi les paysans puis était revenue en ville et avait été