Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et, à son tour, la porta à ses lèvres. L’ouvrier, remarquant que Nekhludov et le vieillard les observaient, se tourna vers eux :

— Eh quoi ! monsieur ! c’est parce que nous buvons ? dit-il. Quand nous travaillons personne ne le voit ; mais quand nous buvons tout le monde le voit ! J’ai travaillé mon compte ; maintenant je bois et régale mon épouse ! Et voilà tout !

— Oui, oui… balbutia Nekhludov, ne sachant que dire.

— N’est-ce pas vrai, monsieur ? Mon épouse est une forte tête ! Je suis content d’elle ; et elle peut avoir soin de moi ! Pas vrai, Mavra ?

— Tiens, prends la bouteille, je n’en veux plus, dit la femme en lui tendant la bouteille. Qu’est-ce que tu chantes là ? ajouta-t-elle.

— Voyez-vous comme elle est ? reprit l’ouvrier. Elle est bonne, bonne, mais tout à coup, quand elle commence à geindre, elle grince comme un chariot dont on n’a pas graissé les roues ! Pas vrai, Mavra ?

Mavra, en riant, eut un geste de bras d’ivrognesse.

— Tenez, le voilà parti !

— Eh bien, voilà comme elle est ! Bonne, bonne ! Mais comme les chevaux, si par hasard la croupière la chatouille, elle vous fait quelque chose d’inimaginable ! C’est vrai, ce que je dis ! Excusez, monsieur ! j’ai bu trop ; que voulez-vous