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de notre temps, de commettre des actes horribles tels que ceux que j’ai vus aujourd’hui. Tout le mal tient à ce que les hommes croient à l’existence de conditions qui permettent de traiter leurs semblables sans amour. Or, des conditions pareilles n’existent pas. Envers les choses, on peut agir sans amour ; on peut, sans amour, fendre du bois, cuire des briques, forger le fer ; mais envers les hommes on ne peut se comporter sans amour ; de même qu’on ne peut agir avec les abeilles sans précautions, car la nature des abeilles est telle. Si tu n’es pas prudent avec elles, tu nuiras aux abeilles et à toi-même. La même chose avec les hommes. Et il n’en peut être autrement, car l’amour réciproque entre les hommes est la loi fondamentale de la vie humaine. Il est vrai qu’un homme ne peut se contraindre à l’amour comme au travail, mais il ne s’en suit pas qu’un homme puisse agir sans amour avec ses semblables, surtout si lui-même a besoin d’eux. Si tu ne te sens pas d’amour pour tes semblables, reste tranquille, pensa Nekhludov s’adressant à soi-même. Occupe-toi de ta personne, des choses, de n’importe quoi, sauf des êtres humains. De même qu’on ne peut manger sans dommage et avec profit que si l’on éprouve le désir de manger, de même on ne peut agir sans dommage et avec profit envers les hommes, si l’on ne commence par les aimer. Si tu te permets d’agir envers eux sans amour,