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équipage et le laisser passer ; mais il sentait dans ce défilé une solennité trop terrible pour l’arrêter, même en faveur d’un monsieur aussi riche. Il se contenta de porter militairement la main à la visière en signe de respect devant la richesse et de regarder sévèrement les prisonniers, comme s’il se promettait de défendre contre eux les gens assis dans la voiture. Ils attendirent donc que tout le convoi eût défilé, et la voiture ne s’ébranla qu’après le passage du dernier chariot chargé de sacs et de prisonnières assises dessus, parmi lesquelles la femme hystérique, qui s’était calmée, mais qui, en voyant la luxueuse voiture, s’était mise de nouveau à pousser des cris. Alors seulement le cocher toucha légèrement les rênes, et les trotteurs noirs, frappant leurs fers sur les pavés, emportèrent la voiture aux roues caoutchoutées vers la maison de campagne où allaient s’amuser le mari, la femme, la fillette et le garçonnet au cou long et aux clavicules saillantes.

Ni le père ni la mère ne dirent un mot d’explication à leurs enfants au sujet de ce qu’ils venaient de voir ; et ceux-ci durent s’expliquer à eux-mêmes la signification de ce spectacle.

La fillette, jugeant d’après le visage de ses parents, comprit que ces gens étaient différents de ses père et mère et leurs amis, que c’étaient de vilaines gens et qu’on faisait bien de les traiter de la sorte. Aussi lui faisaient-ils franchement peur