Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/227

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est inutile ! fit-elle vivement, toute rayonnante.

— Et pensez à ce qui vous sera nécessaire pour la route.

— Je crois n’avoir besoin de rien de particulier. Merci.

Le directeur s’approcha d’eux, et Nekhludov, sans attendre son invite, prit congé d’elle et sortit, emportant dans son âme un sentiment jusqu’alors inconnu : la joie douce, le calme profond et l’amour pour tous les hommes. Ce qui lui causait cette joie et l’élevait à un sommet jusqu’alors inaccessible, c’était la conscience qu’aucun acte de Maslova ne pourrait modifier son amour pour elle. Qu’elle se fasse courtiser par l’aide-chirurgien, c’est son affaire. Lui l’aime non pour soi, mais pour elle et pour Dieu.

En réalité les relations de Maslova avec l’aide-chirurgien, pour lesquelles on l’avait chassée de l’infirmerie et auxquelles croyait Nekhludov, avaient été celles-ci : Un jour que l’infirmière l’avait envoyée chercher des plantes pectorales à la pharmacie, située au bout du couloir, elle avait rencontré Oustinov, l’aide-chirurgien, un homme grand au visage bourgeonné qui, depuis longtemps, la poursuivait de ses assiduités. Il avait empoigné Maslova ; en se débattant, elle l’avait repoussé si brusquement qu’il était allé se heurter contre une étagère, faisant tomber deux flacons qui s’étaient brisés.