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Non ? Passe ton chemin ». Tandis que l’autre feint d’avoir d’autres pensées, d’éprouver des sentiments élevés, délicats. Au fond c’est la même chose. Mais celle-ci au moins est franche ; l’autre ment. En outre, c’est la misère qui a conduit celle-ci à faire ce métier ; tandis que l’autre se joue et s’amuse de cette passion qui est belle, répugnante et terrible. Cette femme de la rue, c’est l’eau sale et puante qui s’offre à ceux chez qui la soif est plus forte que le dégoût ; l’autre, au théâtre, c’est le venin qui empoisonne imperceptiblement tout ce qu’il pénètre. »

Nekhludov se souvint alors de ses relations avec la femme du maréchal de la noblesse ; ces honteux souvenirs l’assaillirent : « Répugnante, cette bestialité de l’homme ! Lorsqu’encore elle se manifeste franchement, du haut de ta vie morale, tu peux la voir et la mépriser ! Que tu succombes ou non, tu restes ce que tu étais. Mais quand cette bestialité se cache sous des dehors soi-disant esthétiques, poétiques, et gagne ton admiration, alors tu t’enlises complètement, et, divinisant la bête, tu ne sais plus distinguer le bien du mal. C’est alors que cela devient terrible ! »

Maintenant Nekhludov voyait cela aussi clairement qu’il voyait devant lui le palais, les fonctionnaires, la forteresse, le fleuve, les bateaux, la Bourse. Et de même qu’il n’y avait pas cette nuit-là de ténèbres calmantes qui donnent le repos,