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« Tes intérêts, les tiens seulement ! »

En pensée, il revit tous ces gens sur lesquels s’exerce l’action des institutions qui redressent la justice, soutiennent la foi, instruisent le peuple, depuis la femme punie pour vente clandestine d’eau-de-vie, et le gamin pour son vol, et le vagabond pour son vagabondage, et l’incendiaire pour avoir mis le feu, et le banquier pour ses abus de confiance, jusqu’à cette malheureuse Lydie, détenue simplement parce qu’on ne pouvait lui arracher des renseignements utiles, jusqu’aux sectaires pour leur rébellion à l’orthodoxie, jusqu’à Gourkévitch pour son désir d’une constitution. Et Nekhludov comprit avec une netteté extraordinaire que tous ces hommes avaient été saisis, enfermés ou déportés non parce qu’ils agissaient contrairement à la justice et violaient la loi, mais simplement parce qu’ils empêchaient les fonctionnaires et les riches de posséder les richesses acquises au détriment du peuple.

L’obstacle était dans la personne de la femme qui trafiquait sans licence, du voleur qui errait par la ville, de Lydie avec ses proclamations, des sectaires qui détruisaient les superstitions, de Gourkévitch avec sa constitution. Nekhludov voyait très clairement que tous ces fonctionnaires, depuis le mari de sa tante, les sénateurs, et les Toporov jusqu’aux petits messieurs propres, corrects, assis devant leurs bureaux dans les minis-