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— Voilà ! dit Toporov en cachetant l’enveloppe. Annoncez cela à vos protégés, ajouta-t-il en plissant ses lèvres pour exprimer le sourire.

— Pourquoi donc ces hommes ont-ils souffert ? demanda Nekhludov en prenant l’enveloppe.

Toporov leva la tête et sourit, comme si cette question lui eût fait plaisir.

— Cela, je ne saurais vous le dire. Je ne puis vous dire qu’une chose : c’est que les intérêts du peuple confiés à notre garde, sont si importants qu’un zèle exagéré, dans les questions de foi, est moins dangereux et moins nuisible que l’indifférence excessive envers ces mêmes questions, qui se répand maintenant.

— Mais comment violer au nom de la religion les principes fondamentaux du bien ; séparer les membres d’une même famille…

Toporov continuait à sourire avec indulgence, comme s’il eût trouvé amusants les propos de Nekhludov ; et celui-ci eût pu dire n’importe quoi que Toporov, du haut de sa situation d’homme d’État, l’eût trouvé charmant, mais obtus.

— À un particulier cela peut en effet sembler ainsi, dit-il, mais au point de vue de l’État, il en est autrement. Mais, au revoir ! dit Toporov avec un signe de tête et en tendant la main.

Nekhludov la serra et sortit rapidement, sans un mot, regrettant d’avoir eu à serrer cette main.

« Les intérêts du peuple », se disait-il.