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de hauts fonctionnaires de l’État qui, loin d’être en prison, occupaient les fauteuils présidentiels de diverses institutions. Ces récits, dont le nombre paraissait inépuisable, faisaient grand plaisir à l’avocat, parce qu’ils lui montraient avec évidence que les moyens dont lui-même usait pour gagner de l’argent étaient tout à fait légitimes et innocents, comparativement à ceux qu’employaient, pour le même but, les plus hauts personnages de Pétersbourg. Aussi l’avocat fut-il très étonné quand Nekhludov, sans écouter son dernier récit du crime des hauts personnages, prit congé de lui et héla un fiacre pour rentrer.

Nekhludov était triste. Il était triste surtout parce que le Sénat avait confirmé le martyre insensé imposé à l’innocente Maslova, et aussi parce que le rejet du pourvoi lui rendait plus difficile la réalisation de sa décision irrévocable d’unir son sort au sien. Il était triste encore à cause de ces ignobles histoires sur le mal qui régnait et dont l’avocat parlait avec tant de plaisir ; et aussi à cause du regard glacial et malveillant de Sélénine, jadis si affectueux, si franc et si noble.

Quand Nekhludov rentra, le portier lui remit avec un certain dédain une lettre qu’une « femme quelconque », comme il s’exprimait, avait écrite dans sa loge. Le billet était de la mère de Choustova. Elle était venue pour remercier le « bien-