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du débit, pour donner le reste, les trente-deux roubles. C’était le premier jour du carnaval. Tous étaient bien habillés, rassasiés et plusieurs déjà ivres. Dans la cour, près du coin de la maison, il y avait un vieillard en zipoune déchiré et lapti, un chiffonnier encore très vert ; il triait sa marchandise dans un panier, mettait les ferrailles en petits tas et chantait d’une belle voix forte une chanson gaie. Je me mis à lui causer. Il avait soixante-dix ans. Il était seul. Il vivait de son métier de chiffonnier, et non seulement ne se plaignait pas, mais disait qu’il avait toujours de quoi boire et manger. Je l’interrogeai sur ceux qui étaient particulièrement miséreux. Il se fâcha et dit carrément que personne n’était dans la misère sauf les ivrognes et les fainéants. Cependant, quand il connut pourquoi j’étais là, il me demanda cinq kopeks pour boire et courut au cabaret. Moi aussi j’allai au cabaret chez Ivan Fédotitch pour le charger de distribuer l’argent qui me restait. Le débit était plein ; des filles publiques endimanchées en sortaient d’une porte à l’autre. Toutes les tables étaient occupées, il y avait déjà plusieurs ivrognes dans la petite chambre, quelqu’un jouait de l’accordéon, et deux dansaient. Ivan Fédotitch, par respect pour moi, ordonna de cesser la danse et s’assit près de moi devant une table libre. Je lui demandai, puisqu’il connaissait ses locataires, s’il ne me désignerait pas ceux