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étions vingt personnes ensemble. À sept heures, commencèrent à venir chez moi tous ceux qui voulaient participer à cette dernière visite de nuit. Presque tous m’étaient inconnus : des étudiants, un officier et deux de mes connaissances mondaines qui, en disant l’habituel, c’est très intéressant, m’avaient demandé de les prendre parmi les recenseurs. Mes connaissances mondaines s’étaient habillées d’une façon particulière, veston de chasse et hautes bottes de voyage, costumes qu’ils prenaient pour partir à la chasse, et qui selon leur opinion convenait pour une expédition dans les asiles de nuit. Ils prirent avec eux des carnets spéciaux et des crayons perfectionnés. Ils se trouvaient dans cet état particulièrement excité qu’on a en partant à la chasse, à un duel ou à la guerre. La sottise et la fausseté de notre situation étaient évidemment plus claires en eux : mais nous tous étions dans la même situation fausse. Avant le départ, une sorte de conseil de guerre eut lieu entre nous : comment et par où commencer ? Comment se diviser, etc. ? Ce conseil était tout à fait analogue à tous les conseils, réunions et comités, c’est-à-dire que chacun parlait non parce qu’il lui fallait dire ou connaître quelque chose, mais parce qu’il lui fallait parler pour n’en pas céder aux autres. Mais, dans ces conversations, personne ne soufflait mot de la bienfaisance dont j’avais parlé tant de fois. Malgré la honte que