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cette entreprise, comme si je n’avais nul doute sur son succès. Je fus seul chez des personnes que j’avais inscrites, qui me semblaient le plus miséreuses, et que je croyais facile de soulager. Comme je l’ai déjà dit, je n’aidai aucune de ces gens. Les aider était plus difficile que je le pensais, et, parce que je ne savais, ou parce qu’on ne pouvait pas, je n’ai fait qu’agacer ces gens et n’en aidai aucun. Je fus plusieurs fois dans la maison de Rjanov et chaque fois la même chose se passait : une foule de quémandeurs m’assiégeaient, et dans cette masse je m’égarais tout à fait. Je sentais l’impossibilité de faire quelque chose, parce qu’ils étaient trop nombreux, et je sentais, à cause de cela, de la malveillance pour eux. En outre, chacun d’eux, pris à part, ne me disposait pas en sa faveur ; je sentais qu’il ne disait pas la vérité, ou en tout cas ne la disait pas toute, et ne voyait en moi qu’une bourse d’où l’on pouvait tirer de l’argent, et il me semblait qu’en général cet argent qu’ils tiraient de moi, n’améliorait pas leur situation, mais l’empirait. Plus je venais dans ces maisons, plus j’entrais en communion avec les gens qui vivaient là, plus l’impossibilité de faire quelque chose me semblait évidente. Mais je n’abandonnai pas mon intention jusqu’à la dernière tournée nocturne de recensement.

J’ai surtout honte à me rappeler cette dernière tournée. Parfois j’allais seul, mais cette fois nous