Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parole pour cesser d’être des cadavres et revivre. Toutes me regardaient et attendaient que je disse ces paroles et fisse ces actes en vertu desquels les os commenceraient à se rapprocher, à se couvrir de chair, à s’animer. Mais je sentis qu’il me manquait les paroles et les actes avec lesquels je pourrais continuer la chose commencée. Je sentis, au tréfonds de mon âme, que j’avais menti, que moi-même j’étais comme eux, que je n’avais rien de plus à dire, et je me mis à inscrire sur les cartes les noms et les professions de toutes les personnes de ce logis. Ce cas m’amena à une nouvelle erreur, à l’idée qu’on pouvait aussi aider ces malheureuses ; dans ma vanité, il me sembla alors que c’était facile. Je me disais : Voilà, nous inscrirons ces femmes aussi et « après », quand nous (qui était ce nous, je ne m’en rendais pas compte), quand nous aurons tout inscrit nous nous en occuperons. Je m’imaginais que nous, nous-mêmes, qui amenons ces femmes à cet état depuis des générations, que nous-mêmes, un beau jour, réparerions tout cela d’un seul coup. Et cependant en me rappelant seulement ma conversation avec cette femme perdue, qui berçait l’enfant de la mère malade, j’aurais pu comprendre toute la folie d’une telle supposition.

Quand nous avons aperçu cette femme avec l’enfant, nous avons pensé que c’était son enfant. Quand nous lui demandâmes qui elle était, elle