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leurs visages, mais en paroles, ils me dirent qu’ils consentaient, et deux d’entre eux, chacun à part, parurent se mettre d’accord et me dirent dans les mêmes termes : « Nous nous considérons comme moralement obligés de le faire. » Même impression fit ma proposition aux étudiants recenseurs quand je leur dis que, pendant le recensement, outre le but direct, nous poursuivrions aussi celui de la bienfaisance. Pendant que nous causions de cela, je remarquais qu’ils avaient honte de me regarder dans les yeux, comme on a honte de regarder dans les yeux un brave homme qui dit des bêtises. Mon article produisit la même impression sur le directeur du journal, quand je le lui remis ; sur mon fils, sur ma femme, sur les gens les plus divers. Tous se sentaient gênés, mais tous croyaient nécessaire d’encourager l’idée elle-même, et tous, après cette approbation, commençaient à exprimer leur doute quant au succès et (tous sans exception) à clamer l’indifférence et l’apathie de notre société et de tous les hommes ; soi excepté bien entendu.

Au fond de mon âme je continuais à sentir que tout cela n’était pas ce qu’il fallait, et qu’il n’en sortirait rien, mais l’article était inséré, j’avais promis de participer au recensement, j’avais mis l’affaire en train, et déjà elle m’entraînait.