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affranchis du travail et l’ont imposé aux autres, et ils vivent la conscience tranquille, fermement convaincus qu’ils leur apportent une utilité qui compense tout cela.

Sur quoi est basée leur assurance ? Demandons-le-leur comme nous l’avons demandé aux hommes d’État et aux industriels. Les ouvriers, sinon tous, du moins la majorité, reconnaissent-ils les services que leur apportent la science et l’art ? La réponse sera la plus triste.

L’activité des gouvernants, des hommes de l’Église est, en principe, reconnue utile par presque tous, et en pratique par la grande moitié des travailleurs, contre qui elle est dirigée. L’activité des industriels est jugée utile par un petit nombre de travailleurs, mais celle des savants et des artistes n’est reconnue utile par aucun des ouvriers.

L’utilité de cette activité n’est reconnue que par ceux qui la pratiquent ou désirent la pratiquer. Le peuple ouvrier, ce même peuple qui porte sur ses épaules tout le travail de la vie et qui nourrit et vêt les hommes de science et d’art, ne peut trouver utile pour lui l’activité de ces gens parce qu’il ne peut même avoir idée de l’utilité de cette activité. Elle se présente au peuple ouvrier comme inutile et même dépravante. C’est ainsi, sans aucune exception, que le peuple ouvrier envisage les universités, les bibliothèques, les conservatoires, les galeries de tableaux et de sculpture et les théâtres bâtis à son