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une forte travailleuse, et la mère de celle-ci, une vieille de près de quatre-vingts ans qui, ordinairement, mendie. Tous rivalisent et travaillent du matin au soir sous le chaud soleil de juin.

Le temps est lourd et la pluie menace.

Chaque heure de travail est précieuse. Il est même fâcheux de se détacher du travail pour apporter de l’eau ou du kvass.

Un gamin, le petit-fils de la vieille, apporte l’eau. La vieille, visiblement anxieuse d’une seule chose, qu’on ne la chasse pas du travail, sans lâcher le râteau se meut visiblement à grand peine. Le petit gamin, presque courbé en deux, pieds nus, traîne en la changeant de main, la cruche d’eau plus lourde que lui. La fillette se met sur l’épaule une brassée de foin plus grosse qu’elle ; après quelques pas, elle s’arrête et le laisse tomber, n’ayant pas la force de le porter. La vieille de cinquante ans ratèle sans s’arrêter ; son fichu de côté, elle tire le foin en respirant lourdement et en chancelant. La vieille de quatre-vingts ans ne travaille qu’avec le râteau, et même ce travail est trop fort pour elle. Elle traîne lentement ses jambes chaussées de lapti ; les sourcils sévèrement froncés elle regarde devant soi, comme une malade ou une mourante.

Le vieux l’envoie exprès plus loin des autres faucheurs, arranger un tas, pour qu’elle ne rivalise pas avec les autres, mais elle, avec le même visage mort, sombre, travaille sans relâche et autant que les autres.