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ne se rappelait pas. Il y en a tant chaque jour ! À la maison Rjanov, au no 32, je trouvai déjà le chantre qui récitait les prières sur la défunte. On l’avait placée sur son ancienne planche, et les locataires, tous des miséreux, avaient recueilli de l’argent pour le service, pour le cercueil et le suaire, et les vieilles femmes l’avaient arrangée et mise en bière. Dans l’obscurité, le chantre récitait quelque chose. Une femme en manteau tenait un cierge ; un homme (il faudrait dire un monsieur) en pardessus à col d’astrakan, très propre, en galoches neuves et chemise empesée, tenait un cierge pareil. C’était le frère de la défunte, on l’avait trouvé.

Je passai devant le corps, et allai dans le coin de la logeuse que j’interrogeai.

Elle s’effraya de mes questions ; évidemment elle avait peur d’être inquiétée ; mais, ensuite, elle se mit à causer et me raconta tout. En repassant, j’ai regardé la défunte. Tous les morts sont beaux, mais celle-ci surtout était belle et touchante dans son cercueil : le visage propre, pâle, les yeux obliques fermés, les joues enfoncées, les cheveux blonds souples sur le front haut, le visage fatigué, bon, pas triste mais étonné. Et, en effet, si les vivants ne voient pas, les morts s’étonnent.

Le jour où j’inscrivis cela il y avait un grand bal à Moscou.

Ce soir-là, je sortis de la maison après huit