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le manque de pont, leur sacrifice forcé ne sera qu’un mal plus grand. Et si ceux qui ont refusé ont eu en vue de profiter du travail des autres, leur contrainte ne sera qu’un châtiment de leur intention, et leur intention, qui n’est pas du tout prouvée, sera punie avant d’être réalisée. Mais en aucun cas, dans cette contrainte à participer à la construction du pont, ils ne pourront voir un bien.

Il en est ainsi quand les sacrifices sont faits pour une œuvre compréhensible par tous, d’une utilité évidente, indiscutable, comme le pont sur la mare, sur lequel tout le monde passe. Combien donc plus injuste, plus insensée, sera une pareille contrainte imposée à des millions de gens, pour des sacrifices dont le but est incompréhensible, intangible, et souvent tout à fait nuisible, comme il arrive pour le recrutement et les impôts. Or, selon la science, ce qui se présente à tout le monde comme un mal est un bien général. Il en résulte qu’il y a certaines gens, la petite minorité des hommes, qui seuls, savent en quoi consiste le bien général, et quoique les autres considèrent ce bien général comme un mal, cette minorité, en contraignant toutes les autres gens, à subir le mal peut considérer ce même mal comme un bien général.

C’est en cela que consiste la superstition principale, la principale tromperie qui empêche la