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que le mot dit par Sutaïev me frappa fortement. Mais je ne compris que plus tard ce qu’il signifiait. C’était au temps de mes plus grandes illusions ; j’étais chez ma sœur ; Sutaïev était chez elle. Ma sœur m’interrogeait sur mon œuvre. Je la lui racontais avec un grand flot de paroles enthousiastes, comme il arrive toujours quand on ne croit pas en son œuvre. Je lui racontais ce que j’avais fait et ce qui pouvait en sortir. Je dis tout : comment nous secourions les orphelins, les vieillards, comment nous rapatriions les villageois devenus pauvres, comment nous facilitions leur relèvement aux débauchés, comment, si l’affaire marchait, il n’y aurait plus à Moscou un homme qui ne trouvât du secours. Ma sœur sympathisait à mes dires et nous causions. Au cours de la conversation, je regardai Sutaïev. Connaissant sa vie chrétienne et l’importance qu’il attribuait à la miséricorde, j’attendais de lui l’approbation et je parlais de façon qu’il me comprît. Je parlais à ma sœur, mais en fait je m’adressais à lui. Il était assis immobile dans sa petite pelisse de mouton noir, qu’il portait dans la rue et dans la chambre, comme tous les paysans, et il avait l’air de ne pas écouter et de penser à autre chose. Ses petits yeux ne brillaient pas, ils paraissaient regarder en lui-même. Après avoir beaucoup parlé, je lui demandai ce qu’il pensait de cela.

— Ce sont des bêtises, — dit-il.