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riger la vie des autres. Je vins en ville et voulus corriger la vie des hommes qui habitaient la ville. Mais bientôt je me convainquis que je ne pouvais le faire, et je me mis à réfléchir aux conditions de la vie urbaine et à sa misère.

« En quoi consiste la vie urbaine et la misère ? Pourquoi en habitant la ville, ne puis-je aider les pauvres de la ville ? » me demandai-je. Et je me répondis que je ne pouvais rien faire pour eux : 1o parce qu’il y en avait trop en un même endroit ; 2o parce que ces pauvres sont trop différents de ceux de la campagne. Pourquoi sont-ils ici si nombreux et en quoi diffèrent-ils des pauvres de la campagne ? À ces deux questions la réponse était la même. Ils sont ici plus nombreux parce que tous les gens qui n’ont pas de quoi manger à la campagne se réunissent autour des riches ; et leur particularité réside en ceci : que tous sont des gens qui viennent de la campagne pour se nourrir en ville. (S’il y a des pauvres, nés dans la ville, dont les pères et les aïeux sont nés ici, alors les pères et les aïeux sont venus ici pour se nourrir).

Que signifie : se nourrir en ville ? Dans les mots, « se nourrir en ville » il y a quelque chose d’étrange, qui semble une plaisanterie quand on y réfléchit. Comment venir de la campagne, c’est-à-dire d’un endroit où il y a des forêts, des prairies, du blé, du bétail et toutes les richesses de la terre, pour se nourrir dans un endroit où il n’y a ni arbres,