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quons pas tout ce que nous perdons pour les établir. Et nous perdons toute la vie. Toute la vie est absorbée par le souci des garanties de la vie, par les préparatifs pour la vie, de sorte qu’il ne reste absolument rien de la vie.

Qu’on se détache pour un moment de ses habitudes et jette un regard sur notre vie, et l’on verra que tout ce que nous faisons pour la soi-disant sécurité de notre existence n’a pas du tout pour but de nous l’assurer, mais que nous cherchons uniquement, par cette activité, à oublier que l’existence n’est jamais assurée et ne peut l’être. Mais c’est peu d’affirmer que nous sommes notre propre dupe et que nous compromettons notre vie réelle pour une vie imaginaire, nous détruisons le plus souvent par ces agissements ce que nous voulons assurer. Les Français prennent les armes en 1870 pour garantir leur existence, et cette tentative a pour conséquence la perte de centaines de milliers de Français. Il en est de même pour tous les peuples qui prennent les armes. Le riche croit son existence garantie puisqu’il possède de l’argent, et cet argent attire un malfaiteur qui le tue. Le malade imaginaire garantit sa vie par des médicaments, et ces médicaments le tuent lentement ; s’ils ne le tuent pas, ils l’empêchent de jouir de la vie, comme ce paralytique qui s’en était privé pendant trente-huit ans, attendant l’ange de la piscine.