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L’humanité a été délivrée des maladies, du travail, du péché et de la mort. Dans cet état imaginaire de la rédemption, l’humanité est déjà affranchie du péché, des souffrances, du travail, de la mort, si seulement elle croit en la rédemption. C’est ce que l’Église enseigne, et là est le prétexte de l’invention de la fable de la rédemption, et de celle de la chute basée sur elle. Involontairement, en parlant du dogme de la rédemption on se demande : Dieu m’a-t-il racheté ou non, et comment m’a-t-il racheté ? Est-il trinité et quels sont ses attributs ? Dieu pense-t-il au monde et à moi, ou n’y pense-t-il pas, et comment ? Quel rapport ai-je avec cela ? Il m’est clair que je ne comprends pas le but, le moyen, la pensée et l’essence de Dieu. S’il est trinité, s’il pense, s’il nous a rachetés, tant mieux pour moi. La rédemption c’est son affaire ; moi j’ai la mienne. Voici ce qu’il me faut savoir sans erreur : ne pas m’imaginer qu’il pense à moi, qu’il m’a racheté alors que je dois me racheter moi-même. Si même tout ce que dit la théologie me paraissait raisonnable, clair, prouvé, même alors, je ne m’y intéresserais pas. Dieu a son œuvre qu’évidemment je ne pourrai jamais comprendre, et il me faut faire la mienne. Les indications la concernant me sont particulièrement importantes et chères, et dans la théologie je vois cette œuvre s’amoindrir constamment, et même, avec le dogme de la Rédemption, se réduire à néant.