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Les visages et les attitudes étaient encore plus excités et plus agressifs que les paroles ; ils indiquaient une haine irréductible. Lévine ne comprenait nullement de quoi il s’agissait, et il s’étonnait de la passion que tous apportaient à débattre s’il fallait ou non voter sur le cas de Flérov. Il oubliait, comme le lui expliqua ensuite Serge Ivanovitch, que pour le bien public il fallait renverser le maréchal de la noblesse de la province, ce qui exigeait la majorité des boules, et que pour avoir cette majorité, il fallait donner à Flérov le droit de vote, enfin que pour admettre Flérov à voter il fallait interpréter l’article de la loi.

— Une seule voix peut décider toute la question, et il faut être sérieux et conséquent si l’on veut contribuer au bien public, conclut Serge Ivanovitch.

Mais Lévine l’oubliait ; il lui était pénible de voir cette irritation haineuse s’emparer d’hommes honnêtes, qu’il estimait. Pour chasser ce sentiment pénible, sans attendre la fin de la discussion, il passa dans la petite salle où il n’y avait personne excepté les valets autour du buffet. À la vue des visages sérieux et animés des valets occupés à essuyer et à ranger la vaisselle, Lévine éprouva soudain un certain soulagement analogue à celui qu’on éprouve en passant d’une atmosphère viciée à l’air pur.

Il se mit à marcher de long en large, regardant