sans sommeil, les douleurs épouvantables… »
Daria Alexandrovna tressaillit au souvenir seul des
souffrances qu’elle éprouvait pour chaque enfant.
« … Puis les maladies des enfants, l’inquiétude
constante, ensuite les soucis de l’éducation, les
mauvais penchants à combattre (elle se rappela les
méfaits de Macha dans les framboisiers) ; les études,
le latin, tout cela si compliqué, si difficile et enfin,
pire que tout, la mort de ces mêmes enfants. »
Soudain elle se rappela la douleur dont son cœur
de mère souffrait cruellement : la perte de son
dernier-né mort du croup, ses funérailles, l’indifférence
de tous devant le petit cercueil rose, sa
douleur solitaire devant ce petit front blanc entouré
de cheveux frisés, cette bouche étonnée, entrouverte,
aperçus pour la dernière fois au moment où
on l’enveloppa d’une couverture rose. « Et pourquoi
tout cela ? Quel sera le résultat de tout cela ?
C’est que je n’aurai pas un moment de repos :
tantôt enceinte, tantôt nourrice, toujours irritée,
ennuyée ou ennuyeuse, hideuse aux yeux de mon
mari. Je passerai ainsi toute ma vie, les enfants
grandiront malheureux, mal élevés et pauvres…
Qu’aurais-je fait cet été si les Lévine ne m’avaient
pas invitée à venir chez eux ? Kostia et Kitty sont
certainement très délicats et ne me le font pas
sentir, mais cela ne peut durer. Eux aussi auront
des enfants et ils ne pourront pas nous aider, déjà
même ils sont gênés… Papa n’a presque rien gardé,
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