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faut pas compter sur le monde officiel, pensait-il, mais nos parents, nos amis, comprendront les choses telles qu’elles sont. »

On peut rester assis plusieurs heures, les jambes pliées dans une certaine position, si l’on sait que rien n’empêche de les changer de place ; mais dès qu’on sait qu’il est impossible de remuer, les contractions commencent, les jambes s’étendent dans la direction où l’on voudrait les allonger. C’est ce que ressentait Vronskï relativement à la société : convaincu, au fond de son âme, que la société leur était fermée, il essayait de voir si le monde n’avait pas changé et si on ne les recevrait pas, et bientôt il se convainquit que la société, ouverte pour lui personnellement, restait fermée devant Anna ; comme au jeu de colin-maillard, les mains levées pour lui, s’abaissaient aussitôt devant Anna.

Une des premières femmes du monde qu’il rencontra à Pétersbourg fut sa cousine Betsy.

— Enfin ! s’écria-t-elle joyeusement. Et Anna ? Que je suis heureuse ! Où êtes-vous descendus ? J’imagine aisément combien Pétersbourg doit vous paraître horrible après votre charmant voyage à l’étranger. J’imagine votre lune de miel à Rome. Et le divorce ? Est-ce arrangé ?

Vronskï s’aperçut que cet enthousiasme tomba dès que Betsy apprit que le divorce n’était pas encore prononcé.

— Je sais qu’on me jettera la pierre, dit-elle,