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à Kitty son journal où se trouvait consigné ce qui le tourmentait. Il avait écrit ce journal à l’intention de sa fiancée future. Deux choses l’inquiétaient : son manque d’innocence et son impiété.

L’aveu d’impiété passa inaperçu. Kitty avait de la religion, elle n’avait jamais douté des vérités du dogme, mais l’impiété extérieure de son fiancé ne la touchait nullement. Elle connaissait toute son âme et grâce à son amour y voyait tout ce qu’elle voulait ; mais qu’un pareil état d’âme s’appelât impiété, cela lui était tout à fait égal.

L’autre aveu la fit pleurer abondamment.

Ce n’était pas sans lutte que Lévine s’était décidé à lui donner son journal. Il savait qu’entre lui et elle il ne pouvait exister de secrets, c’est pourquoi il avait résolu d’agir ainsi. Mais il ne se rendait pas compte de l’effet que cela produirait sur elle. Aussi quand un soir, passant chez eux avant d’aller au théâtre, il pénétra dans sa chambre et vit son visage triste et charmant, tout inondé de larmes, quand il se sentit la cause du malheur irréparable dont elle souffrait, seulement alors il comprit l’abîme qui séparait son honteux passé de sa pureté angélique, et il fut épouvanté de ce qu’il avait fait.

— Reprenez, reprenez ces horribles cahiers ! dit-elle en repoussant les feuillets qui étaient devant elle sur la table. Pourquoi me les avez-vous donnés ? Non, cela valait pourtant mieux — ajouta-t-elle