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Mais Lévine l’arrêta. Ce valet nommé Egor, que jusqu’alors Lévine n’avait pas remarqué, lui parut fort intelligent et lui fit l’effet d’être un brave et bon garçon.

— Eh bien ! Egor, c’est dur de veiller ?

— Qu’y faire ! c’est notre métier. Chez des particuliers on est plus tranquille, mais ici, on gagne davantage.

Lévine apprit qu’Egor avait une famille composée de trois garçons et d’une fille, couturière, qu’il voulait marier à un ouvrier sellier.

À ce propos il exprima à Egor son idée que dans le mariage, la chose principale c’est l’amour, qu’avec l’amour on est toujours heureux, parce que le bonheur n’est qu’en nous-mêmes. Egor écoutait attentivement, et comprenait certainement l’idée de Lévine, mais pour le montrer il fit cette observation tout à fait inattendue que, quand il vivait chez de bons maîtres, il était toujours content d’eux, et que maintenant encore il était très content de son patron, bien que ce fût un Français.

« Quel brave homme ! » pensait Lévine.

— Eh bien ! Egor, et toi, quand tu t’es marié, aimais-tu ta femme ?

— Comment aurais-je pu ne pas l’aimer ? repartit Egor.

Et Lévine voyait qu’Egor était lui aussi dans un état de surexcitation et qu’il était prêt à lui dévoiler ses sentiments les plus intimes.