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s’aperçut, avec horreur, que le porto et le xérès venaient de chez Desprès et non pas de chez Löwe ; il donna donc l’ordre d’envoyer au plus vite le cocher chez Löwe ; ceci fait, il se disposa à rentrer au salon.

Dans la salle à manger, il rencontra Constantin Lévine.

— Ne suis-je pas en retard ?

— Peux-tu ne pas être en retard ? dit Stépan Arkadiévitch en le prenant sous le bras.

— Il y a beaucoup de monde chez toi ? Qui ? demanda Lévine en rougissant malgré lui et époussetant avec son gant la neige de son chapeau.

— Tous les nôtres. Kitty est ici. Viens. Je te présenterai à Karénine.

Stépan Arkadiévitch, malgré son libéralisme, savait combien était flatteuse une présentation à Karénine ; c’est pourquoi il en régalait ses meilleurs amis. Mais, en ce moment, Constantin Lévine n’était pas à même d’apprécier tout le plaisir de cette connaissance. Il n’avait pas vu Kitty depuis cette soirée mémorable où il s’était rencontré avec Vronskï, à part le moment où il l’avait aperçue sur la grand’route. Bien qu’il fût, au fond de son âme, sûr de la rencontrer ici aujourd’hui, il s’était efforcé de garder toute sa liberté de pensée, cherchant à se convaincre qu’il ne savait rien. Mais maintenant, en apprenant qu’elle était là, il ressentit tout à coup une telle joie et en même temps une telle