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avait acquis l’endurance suffisante pour s’adonner à tous les excès, tout en restant frais comme un grand concombre hollandais, vert et brillant. Le prince voyageait beaucoup et appréciait particulièrement la facilité des moyens de communication, en raison de la faculté qu’elle lui donnait de pouvoir goûter indistinctement aux plaisirs nationaux des différents pays.

En Espagne, il avait donné des sérénades et s’était lié avec une Espagnole qui jouait de la mandoline. En Suisse, il avait tué une biche ; en Angleterre il avait sauté les haies en habit rouge et parié de tuer deux cents faisans. En Turquie il avait visité un harem ; aux Indes il s’était promené sur les éléphants, et maintenant qu’il était en Russie, il désirait être initié aux plaisirs particuliers à ce pays.

En sa qualité de maître des cérémonies auprès de la personne du prince, Vronskï était fort embarrassé pour dresser le programme des divertissements qu’il pouvait proposer à cet hôte. Les trotteurs et les crêpes, la chasse à l’ours, les troïkas et les tziganes lui furent successivement présentés sans oublier les orgies où l’on brise toute la vaisselle ; le prince s’assimilait avec une extraordinaire facilité l’esprit russe ; il cassait les plateaux chargés de vaisselle, prenait une tzigane sur ses genoux puis paraissait demander s’il n’y avait plus d’autres plaisirs à goûter et si la gaîté russe s’arrêtait là ?