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Ces deux hommes se tenaient de si près, que le moindre mouvement, la moindre inflexion de la voix leur en disait plus que tout ce qu’ils pouvaient exprimer par des paroles.

Une même pensée les occupait tous les deux à ce moment — la maladie et la mort prochaine de Nicolas — et cette pensée à elle seule absorbait toutes les autres. Mais ni l’un ni l’autre n’osait y faire allusion, c’est pourquoi leur conversation n’exprimait nullement le fond de leur pensée.

Jamais Lévine ne vit arriver avec autant de soulagement la fin de la soirée et le moment d’aller se coucher. Jamais avec aucun étranger, dans aucune visite officielle, il n’avait été moins naturel ni plus faux que ce soir. Et la conscience qu’il avait de cette attitude, tout en l’affligeant profondément, n’aboutissait qu’à le rendre plus faux encore. Alors qu’il ressentait un violent chagrin à la vue de ce frère bien aimé au seuil de la tombe, il lui fallait écouter et discuter avec lui les projets qu’il formait pour l’avenir.

Comme la maison était humide et qu’il n’y avait pas de pièce chauffée, Lévine partagea sa chambre avec son frère qu’il fit coucher de l’autre côté du paravent.

Nicolas se mit au lit mais dormit mal ; à la façon des malades, il se retournait, toussotait, marmottait des mots sans suite. Parfois, il soupirait lourdement et s’écriait : « Ah ! mon Dieu ! » Puis,