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de celle-ci remonte peut-être à la période des apanages, il n’en est pas moins vrai qu’elle a nécessité l’emploi de la contrainte. Si au temps du servage il nous a été possible d’améliorer notre exploitation, d’introduire l’épandage, d’employer des machines perfectionnées, des séchoirs, des batteuses, et toutes sortes d’instruments, cela tient à ce qu’à cette époque nous disposions d’un pouvoir que nous n’avons plus ; nous nous heurtâmes d’abord à l’opposition des paysans, mais bientôt ils finirent par nous imiter. À l’heure présente, par suite de l’émancipation, nous avons perdu le pouvoir, en sorte que l’exploitation, du point culminant qu’elle avait atteint, est destinée à s’abaisser fatalement, pour retourner en fin de compte à l’état sauvage le plus primitif. Telle est mon intime conviction.

— Pourtant si l’exploitation est rationnelle, il vous est toujours possible de la mener à bien en embauchant des ouvriers, dit Sviajskï.

— En l’absence du pouvoir, avec quoi la mènerai-je, permettez-moi de vous le demander ?

« Précisément, pensa Lévine, l’ouvrier est l’élément principal de l’exploitation ».

— Avec vos ouvriers, repartit Sviajskï.

— Les ouvriers se refusent à fournir un travail convenable, et ne veulent pas employer les instruments perfectionnés. Ils ne savent qu’une chose, se soûler comme des brutes et gâcher l’ouvrage : tantôt ils négligent de faire boire les chevaux en