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aujourd’hui qu’elle est louée à moitié aux paysans, elle ne rapporte plus que trois pour un. L’émancipation a ruiné la Russie !

Sviajskï lança à Lévine un regard accompagné d’un geste de légère raillerie. Mais Lévine ne trouvait pas ridicules les paroles du propriétaire ; au fond il les comprenait mieux que le caractère de Sviajskï. Beaucoup d’idées même, bien que tout à fait neuves pour lui, le frappèrent par leur justesse et leur logique dans la suite de l’explication que fournit le propriétaire, dans le but de prouver pourquoi l’émancipation avait ruiné la Russie.

Il était visible que cet homme exprimait sa pensée personnelle, et le fait était assez rare pour qu’il le remarquât ; ces idées n’étaient évidemment pas la conception maladive d’un esprit oisif, elles étaient la résultante de l’expérience ; on les sentait mûries dans l’isolement de la campagne et longuement étudiées.

— Soyez persuadé, reprit-il, que le progrès est inséparable de la violence ; et, dans le but évident de montrer qu’il n’était pas totalement dépourvu d’instruction, il poursuivit :

— Prenez les réformes de Pierre, de Catherine, d’Alexandre, lisez l’histoire de l’Europe, chacune des étapes de l’évolution agricole est marquée au coin de la violence ; n’a-t-il pas fallu recourir à la force pour l’introduction de la culture de la pomme de terre ou de l’usage de la charrue ? L’introduction