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chevaux, plus de vaches, mais une atroce famine. Vous croyez peut-être aider ces hommes en les embauchant ? Une fois à votre service, ils n’ont d’autre but que de tout gâcher et ils trouvent encore le moyen d’aller se plaindre au juge de paix.

— Mais vous aussi, vous pouvez porter plainte au juge de paix, objecta gaîment Sviajskï.

— Au juge de paix ? Moi ? Pour rien au monde ! On en jaserait tellement que j’aurais tôt fait de regretter ma plainte ! Voyez plutôt : dans ma fabrique, des ouvriers, après avoir reçu une avance sur leurs gages, ont abandonné le travail. Imaginez-vous comment le juge de paix, auquel j’avais eu recours, s’est prononcé ? Il les a acquittés ! Nous n’avons d’autre ressource que le tribunal de la commune et l’ancien du village ; celui-là au moins n’hésitera pas à fouetter votre homme comme au temps jadis. Si l’on nous supprimait cela, il ne nous resterait plus qu’à tout planter là pour fuir au bout du monde !

Cette tirade devait évidemment irriter Sviajskï, néanmoins il ne se fâchait pas et paraissait même s’animer.

— Pourtant nous autres, moi, Lévine, lui, dit-il en désignant l’autre propriétaire, nous n’en sommes jamais réduits à cette extrémité.

— C’est possible, mais demandez à Michel Pétrovitch comment cela marche chez lui ? Est-ce vraiment là une exploitation rationnelle ? repartit