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son ardent désir, il ne pouvait se décider à aller voir. Daria Alexandrovna Oblonskï, lors de la visite qu’il lui avait faite, l’avait bien invité à revenir, l’engageant même à renouveler sa demande à sa sœur et lui laissant entendre que celle-ci l’accepterait ; en outre la profonde émotion qu’il avait ressentie lorsque, tout dernièrement, il avait aperçu Kitty, l’avait averti qu’il n’avait jamais cessé de l’aimer ; néanmoins il ne pouvait se décider à aller chez les Oblonskï pendant son séjour. Il ne pouvait oublier qu’à sa demande en mariage elle avait répondu par un refus, et ce fait établissait entre eux un obstacle infranchissable. « Je ne puis pourtant pas lui demander de devenir ma femme uniquement parce qu’elle n’a pu épouser celui qu’elle m’avait préféré », se disait-il. Cette réflexion lui suggérait une froideur presque hostile envers elle. « Je n’aurais pas la force de lui parler sans amertume, ni de la regarder sans colère. Je n’aboutirais qu’à me faire haïr d’elle encore davantage, c’est forcé. Comment en outre pourrais-je aller chez eux, maintenant, après ce que m’a dit Dolly ? Me sera-t-il possible de ne pas laisser voir qu’elle m’a parlé ? Et puis est-ce bien à moi de venir généreusement apporter le pardon et la grâce ? M’appartient-il vraiment de jouer devant elle le rôle de l’homme magnanime qui consent à l’honorer de son amour ?… Pourquoi aussi Daria Alexandrovna m’a-t-elle dit cela ? J’aurais pu la rencontrer par hasard et alors