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tance. Elle espérait y découvrir enfin la solution qui changerait leur situation et la sauverait.

Si dès le premier mot il lui eût dit résolument, passionnément et sans une minute d’hésitation : Quitte tout et pars avec moi ! elle eût abandonné son fils et l’aurait suivi. Mais loin de produire sur lui l’impression qu’elle en attendait, sa révélation paraissait au contraire l’offenser.

— Je n’ai pas souffert le moins du monde, cela s’est fait de soi-même, dit-elle d’un ton légèrement irrité. Et voilà…. À ces mots elle tira de son gant la lettre de son mari.

— Je comprends, je comprends, — dit-il vivement en prenant la lettre, mais sans la lire et dans le but évident de la calmer. — Mon vœu le plus cher, mon unique désir était de mettre fin à cette situation afin de pouvoir consacrer toute ma vie à ton bonheur.

— À quoi bon me dire cela ? Puis-je en douter ? Si j’en doutais…

— Qui donc vient par ici ? dit tout à coup Vronskï en désignant deux dames qui se dirigeaient de leur côté. Ces personnes pourraient peut-être nous reconnaître, ajouta-t-il, et il l’entraîna rapidement dans une allée latérale.

— Ah ! tout m’est égal ! dit Anna.

Ses lèvres tremblaient et Vronskï crut voir que ses yeux, à travers sa voilette, le regardaient avec une étrange expression de haine.