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n’existait au-delà des intérêts de son escadron. À vrai dire il reconnaissait à Serpoukhovskoï une grande capacité de réflexion et une remarquable subtilité de compréhension ; il admirait également son esprit et son éloquence, qualités si rares dans leur milieu, et, quelque honte qu’il en éprouvât, il n’était pas sans en ressentir un sentiment d’envie.

— Oui, mais il me manque pour cela la chose principale, répondit-il, il me manque l’amour du pouvoir. Je l’ai eu autrefois mais maintenant c’est bien fini.

— Permets-moi de te dire qu’il n’en est rien, dit Serpoukhovskoï en souriant.

— Non, c’est vrai, c’est très vrai ! Pour le moment, du moins, à parler franchement.

— Que ce soit vrai pour le moment, cela est possible ; mais pour le moment ne veut pas dire toujours.

— Peut-être.

— Tu dis peut-être, continua Serpoukhovskoï, comme s’il devinait ses pensées, et moi je dis sûrement. Au reste c’est pour cela que je voulais te voir. Tu as agi comme il fallait, et je suis le premier à t’approuver, mais tu ne dois pas t’entêter. Donne-moi seulement carte blanche. Je ne t’offre pas ma protection… Cependant pourquoi ne le ferais-je pas ? Ne m’as-tu pas souvent protégé, toi ? Et notre amitié ne doit-elle pas être au-dessus de cela ? Oui, reprit-il avec une tendresse presque féminine, en