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présente, la Russie a besoin d’un parti d’hommes indépendants comme toi et moi.

— Mais pourquoi ? — Ici Vronskï cita les noms de quelques personnalités en vue. — Pourquoi, poursuivit-il, ceux-là ne sont-ils pas indépendants ?

— Mais parce qu’ils n’ont pas ou n’avaient pas dès leur naissance l’indépendance inhérente à la fortune. Il leur a manqué de naître comme nous près du soleil. Ceux-là, on peut les acheter avec de l’argent ou avec des honneurs ; pour se maintenir ils ont besoin d’inventer une opinion, et cette opinion à laquelle eux-mêmes ne croient pas, cette opinion pernicieuse au premier chef est en réalité leur seul moyen d’existence. C’est par elle qu’ils obtiennent d’être logés et payés par l’État. Cela n’est pas plus fin que cela, quand on regarde bien dans leur jeu. Il se peut que je sois pire ou plus bête qu’eux, bien que je ne voie pas trop pourquoi ; nous n’en avons pas moins toi et moi, une énorme supériorité sur ces gens-là : c’est qu’il est infiniment plus difficile de nous acheter. Et de pareils hommes sont plus nécessaires que jamais.

Vronskï écoutait attentivement son ami, mais le sens même des paroles l’intéressait moins que la portée des vues de Serpoukhovskoï. Ce dernier se voyait déjà en train de lutter contre le pouvoir et il se sentait à l’avance, dans ce milieu, des sympathies et des antipathies ; pour Vronskï, au contraire, rien