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réalité, depuis une année, c’est-à-dire depuis son départ de Moscou, il avait cessé de s’amuser. Il comprenait qu’il cessait d’être l’homme indépendant dont la puissance d’action n’est limitée que par la volonté. Ce rôle s’effacait peu à peu, et dépouillé de cette auréole, il apparaissait aux yeux du monde comme un incapable dont tout le mérite se bornait à être un brave et honnête garçon.

Sa liaison avec madame Karénine, qui avait fait beaucoup de bruit et attiré l’attention générale, par le nouvel éclat qu’elle lui donnait, avait momentanément calmé sa fièvre d’ambition. Mais depuis une semaine, elle le brûlait avec une nouvelle ardeur. Son ami d’enfance, Serpoukhovskoï, qui appartenait au même monde que lui, son camarade de promotion, son condisciple au corps des cadets, où ils rivalisaient dans les études et les exercices physiques, le compagnon qui avait partagé ses aventures et ses rêves ambitieux, revenait d’Asie Centrale, où il avait gagné deux grades et une distinction rarement conférée aux généraux si jeunes. À peine était-il rentré à Pétersbourg que tout le monde parlait de lui ; on le considérait unanimement comme un astre de première grandeur apparaissant à l’horizon. Bien que du même âge que Vronskï, dont il était le camarade, il était général et sur le point d’être promu à un poste important.

Auprès de lui, Vronskï, tout indépendant et brillant qu’il était et malgré qu’il fut aimé d’une