Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suivit-elle, se tournant vers Anna avec un sourire, et lui serrant amicalement la main dans laquelle elle tenait son ombrelle.

— D’autant plus que je ne pourrai pas rester longtemps, il faut que j’aille chez la vieille Vrédé ; il y a un siècle que je le lui promets, dit Anna pour qui le mensonge, auparavant si étranger à sa nature, était devenu non seulement une chose simple et naturelle en société, mais presque un plaisir.

Pourquoi disait-elle une chose à laquelle, une minute auparavant, elle ne songeait même pas, elle n’aurait pu l’expliquer. Seule la considération que Vronskï ne venait pas la poussait à se ménager un moyen de se rendre libre afin de tenter de le voir. Mais pourquoi avait-elle nommé précisément mademoiselle Vrédé, la vieille demoiselle d’honneur qu’elle n’avait nullement besoin de voir, elle-même n’aurait pu le dire ; or, il se trouva qu’elle n’eût pu inventer de moyen plus habile pour se ménager un rendez-vous avec Vronskï.

— Non, je ne vous laisserai partir à aucun prix, dit Betsy en fixant le visage d’Anna. Vraiment, si je vous aimais moins, je serais offensée. Vous avez l’air d’avoir peur de vous compromettre en ma société… S’il vous plaît, le thé dans le petit salon, dit-elle au domestique en fermant à demi les yeux, comme elle en avait l’habitude lorsqu’elle donnait des ordres.

Elle prit le billet des mains du valet et le lut.