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fraîcheur que lui rendait plus sensible encore l’état de surexcitation morale dans lequel elle se trouvait et qui, en ce moment, augmentait encore d’intensité.

— Va, va trouver Mariette, dit-elle à Serge qui voulait la suivre. Et elle se mit à marcher sur la natte qui tapissait la terrasse. « Est-ce qu’ils ne me pardonneront pas ; ne comprendront-ils pas que fatalement tout devait arriver ainsi ?» se dit-elle. Elle s’arrêta et regardant onduler sous le vent la cime des arbres dont les feuilles encore humides brillaient au soleil, elle sentit qu’elle ne pouvait espérer leur pardon, que tout et tous seraient sans pitié pour elle, oui tout, jusqu’à ce ciel, jusqu’à cette verdure. Et de nouveau, elle éprouva une étrange sensation de dédoublement. « Il ne faut pas, non, il ne faut pas réfléchir, se dit-elle. Il faut m’en aller. Mais où aller ? Quand partir ? Et qui emmener ? C’est cela, je prendrai le train du soir pour Moscou. J’emmènerai Serge et je prendrai le strict nécessaire. Mais avant tout il faut leur écrire à tous les deux. » Elle passa rapidement dans son boudoir, s’assit à son bureau et se mit en devoir d’écrire à son mari :

« Après ce qui s’est passé, je ne puis plus rester dans votre maison. Je pars et j’emmène mon fils. Je ne connais pas les lois. J’ignore donc avec qui légalement doit rester l’enfant, mais je l’emmène parce que je ne saurais vivre sans lui. Soyez magnanime, laissez-le moi… »