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s’éloigna avec sa fille et le colonel qui s’était joint à eux.

— C’est notre aristocrate, prince ! dit le colonel d’un air moqueur ; il en voulait à madame Stahl parce qu’elle n’avait pas lié connaissance avec lui…

— Toujours la même ! répondit le prince.

— On dit qu’elle reste couchée depuis dix ans…

— Elle ne se lève pas parce qu’elle a les jambes très courtes. Elle est très mal faite…

— Ce n’est pas possible ! s’écria Kitty.

— Les mauvaises langues le disent, mon amie. Et ta Varenka supporte ses caprices… ajouta-t-il. Oh ! ces dames malades !

— Oh ! non, papa, reprit avec chaleur Kitty. Varenka l’adore. Et puis elle fait tant de bien ! Demande à qui tu voudras ! tout le monde la connaît et l’aime.

— Peut-être, fit-il en lui serrant le bras, mais quand on fait le bien, il vaut mieux que personne ne le sache.

Kitty se tut, non parce qu’elle n’avait rien à objecter, mais parce que même à son père elle ne voulait pas révéler ses pensées secrètes. Cependant, bien qu’elle n’eût pas l’intention de se rallier à l’opinion de son père, ni de laisser celui-ci pénétrer en elle, elle sentit que l’image de madame Stahl, que, depuis un mois, elle portait comme une idole en son âme, disparaissait pour toujours. Il