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— Oui, il m’en donne un bon prix, trente-huit mille roubles : huit mille d’avance et le reste échelonné en six années. Il y avait longtemps que je cherchais, personne ne m’en donnait plus.

— C’est-à-dire que tu as donné ta forêt pour rien dit simplement Lévine.

— Comment pour rien ? fit Stépan Arkadiévitch avec un bon sourire, sûr que maintenant Lévine ne trouverait rien de bien.

— Parce que la forêt vaut au moins cinq cents roubles la déciatine, reprit Lévine.

— Ah ! ces propriétaires ruraux ? dit en plaisantant Stépan Arkadiévitch. Il est drôle votre ton de mépris envers nous citadins ! Et quand il faut faire une affaire c’est nous qui sommes les plus habiles. Crois-moi, j’ai tout calculé, et la forêt est bien vendue, j’ai même peur que l’autre ne se dédise. Après tout ce n’est pas une forêt de mâts ! dit Stépan Arkadiévitch, désirant par le mot «mâts » convaincre tout à fait Lévine de l’injustice de ses doutes. Mais c’est du bois ordinaire. Et il n’y en aura pas plus de trente sagènes[1] par déciatine. Et il m’en donne deux cents roubles.

Lévine eut un sourire de mépris. « Je connais, pensa-t-il, cette manie commune à tous les habitants des villes qui, ayant deux fois en dix ans séjourné à la campagne en ont retenu deux ou trois

  1. Une sagène vaut à peut près deux mètres ; on mesure le bois de chauffage en sagènes cubes.