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— Tu te souviens des enfants pour en jouer, mais moi j’y pense sérieusement, je sais qu’ils sont perdus maintenant.

Pendant ces trois derniers jours, elle avait dû se répéter fréquemment cette phrase.

Elle l’avait tutoyé ; il la regarda avec reconnaissance et s’avança pour lui prendre la main, mais elle s’écarta de lui avec dégoût.

— Oui, dit-elle, je me souviens des enfants, c’est pourquoi je ferai tout au monde pour les sauver, mais je ne sais pas moi-même de quelle façon m’y prendre pour cela : dois-je les éloigner de leur père ou les laisser vivre près d’un débauché… Voyons, après ce qui s’est passé, dites s’il nous est possible de vivre ensemble ? Est-ce possible, répétait-elle en élevant la voix, quand mon mari, le père de mes enfants, a une liaison avec leur gouvernante ?…

— Mais que faire ? que faire ? dit-il d’un ton navré, ne sachant lui-même ce qu’il disait et baissant de plus en plus la tête.

— Vous êtes vil, et vous m’inspirez du dégoût ! s’écria-t-elle, s’emportant davantage. Vos larmes ne sont que de l’eau ! Vous ne m’avez jamais aimée, vous n’avez ni cœur, ni fierté ! Vous êtes un homme méprisable et vil ; vous n’êtes plus pour moi qu’un étranger, oui, tout à fait un étranger !

Elle prononça avec une expression de souffrance